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mercredi 17 juin 2009

La Sécu : un organisme irréformable ?

Quand je lis actuellement tout ce qui se dit sur cette célèbre loi Bachelot, je ne peux m'empêcher de penser à cette boutade que l'on prête à Pierre Laroque qui fut le créateur de la Sécurité sociale dans l'Ordonnance du 4 Octobre 1945 : « Nous avons créé un organisme si complexe que personne à l'avenir ne pourra le réformer » !!!

Ce faisant, et devant la situation effectivement difficile à analyser que nous observons et, sans tomber dans la polémique, ne pourrions-nous pas interroger le passé et en tirer quelques réflexions pour l'avenir ? Examiner ce qui a été fait ou tenté, constater ce qui a réussi, ce qui a échoué, déterminer les motifs vraisemblables de ces réussites et de ces échecs pour inspirer nos projets ?


La création des CHUs

Je vais tenter cet exercice en commençant par le début de mes souvenirs professionnels personnels, à savoir la Réforme Debré de 1958. C’est à l’Institut National d’Hygiène dirigé par le Pr. Bugnard  que se réunissait confidentiellement la commission présidée par le Pr. Robert Debré. C'est là où naquit la fameuse ordonnance n° 53 1373, promulguée le 30 décembre 1958, relative à la création des CHUs, à la réforme de l'enseignement médical et au développement de la recherche médicale.

Le cœur de cette réforme fut de bouleverser la vie des professeurs, chefs de services hospitaliers qui, auparavant et pour la plupart, ne passaient qu'en courant à l'hôpital pour se consacrer essentiellement à leur clientèle privée en ville et qui, après leur intégration, durent se contenter de recevoir ces clients privés à l'hôpital, une après-midi par semaine. Le tout, accompagné d'efforts financiers considérables, pour moderniser les hôpitaux, pour stimuler la recherche (par la création d'unités de recherches de l'INH, puis, après 1964, de l'INSERM), fut à l'origine d'un essor exceptionnel de la qualité de notre médecine et de notre recherche médicale.

Cette réforme nous fit sortir en quelques années de l’hôpital quasi-médiéval d'un après-guerre difficile et rejoindre, voire dépasser, nos voisins européens.
Les motifs de ce succès, je les vois dans :
·     la qualité et la détermination du leader, le Pr. Robert Debré,
·     le soutien politique dont il disposait au sommet de l'Etat (Michel Debré et Charles de Gaulle)
·     l'expertise et la grande discrétion avec lesquelles le projet a été construit
·     la résistance sans failles aux opposants représentés par la très grande majorité des «mandarins» de l'époque qui défendaient avec énergie leurs privilèges, en déclarant par exemple que cette réforme «voulait faire périr l'élite» !
·     j'ajouterais, le choix de l'objectif qui, sans embrasser comme on le fit trop souvent après la totalité du champ du système de soins, était suffisamment stratégique pour  améliorer tout ce système par effet second.

Après 1958 et la création des CHUs et du plein temps hospitalo-universitaire, aucun des ministres qui se succédèrent ne quitta sa fonction sans avoir apporté sa retouche, modeste ou importante, au système, la croissance des dépenses et surtout celle de la dette étant une préoccupation permanente.


Les Ordonnances JUPPE ou « de l’unanimité parlementaire aux manifestations de rue »

Puis vint la Grande réforme réalisée en avril 1996 par le Premier Ministre Alain Juppé. Réforme ambitieuse abordant quasiment tous les compartiments de cet immense système, qui intéresse toute la population, emploie deux millions de personnes et consomme plus de 10% du PIB. Cela se fit sous forme d'Ordonnances, consacrées à l'Organisation de la Sécurité sociale, aux hospitalisations publiques et privées et surtout à la maitrise médicalisée des dépenses de soins.

Impossible de résumer en quelques lignes un texte si complexe, mais parmi les mesures les plus importantes dont la plupart sont encore dans notre arsenal législatif, nous citerons en vrac :
·     le vote de l’ONDAM par le Parlement
·     la création de la CRDS
·     la création des ARH
·     les Conférences Nationale et Régionales de Santé
·     pour les hôpitaux, la procédure d'accréditation, le projet d'informatisation et, pour le budget, la dotation globale (remplacée depuis lors par laT2A)
·     concernant la médecine et les soins, l'obligation de FMC, les référentiels de bonne pratique, les conventions professionnelles, la création de filières et de réseaux, le carnet de soins avec une perspective d'informatisation et, pour l'anecdote, une aide à la retraite anticipée des médecins à une époque où l'on pensait que cela ferait faire des économies.

Tout le monde fut impressionné par ce travail quand il fut présenté aux parlementaires et à la population, après une conception dans le plus grand secret. Mais les difficultés commenceront peu après, quand les médecins, en particulier libéraux, réalisèrent que les initiateurs de la réforme attendaient de la mise en place d’améliorations qualitatives planifiées (dont on connait maintenant par expérience la lenteur de progression, cf. FMC, DMP, etc), des réductions de dépenses significatives et rapides, cautionnées par les praticiens eux-mêmes, et ce fut la révolte !

Donc, en conclusion, une réforme ambitieuse et très importante par ses aspects structurels et les chantiers de qualité qu'elle a ouvert (ou entr'ouvert), pénalisée par une erreur bien classique sur ce sujet, à savoir « penser qu’ouvrir des chantiers de qualité dans un système de santé va (et surtout va rapidement), provoquer une modération des dépenses » !

La réforme aux 2 piliers : Dossier Médical Personnel et Médecin Traitant

Huit années passent et nous voici en 2004 avec la Réforme dite Douste Blazy. Le ton est toujours aussi solennel, voire dramatique : «c'est la réforme de la dernière chance» !
La terminologie employée, à chaque instant, est celle de « maitrise médicalisée », signifiant que les dépenses de santé vont cesser de croître exagérément et que ceci va se faire « gentiment », en parfaite harmonie avec les médecins, en particulier libéraux qui avaient encore dans la gorge les arêtes du plan Juppé.
Suivent des mesures de toutes natures, bien que ne touchant pas la totalité du système de santé, comme dans les ordonnances Juppé :
·     on crée la Haute Autorité de Santé, promise à un bel avenir
·     on crée l'INCA ainsi que l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique
·     dans les hôpitaux, on introduit la tarification à l'activité, remplaçant le budget global de la précédente réforme, etc.

Mais (je cite le ministre) «la mise en place d'une organisation des soins dans le cadre d'une maitrise médicalisée des dépenses de santé est la clef de voute de la réforme ! Elle s'appuie notamment sur deux piliers : le dossier médical personnel et le médecin traitant ». Or, que dire de ces deux piliers cinq ans plus tard :
·     que le premier est encore sur la table à dessins des architectes, qui se sont d'ailleurs succédé en grand nombre
·     que le deuxième a été un pilier de type « symbolique », puisque les patients, ayant aujourd'hui leur médecin traitant, sont pratiquement (en pourcentage) ceux qui avaient autrefois leur médecin dit « de famille ». Des observateurs attentifs et humoristes ont même pensé que cette « grande » réforme avait été conçue pour accorder aux médecins libéraux consultés par les rares patients contrevenants un petit supplément officiel d'honoraires.

Voila l'Histoire ou les histoires, comme le lecteur voudra !
·     1958, une réforme parfaitement réussie sur un objectif précis
·     1996, une réforme globale portant sur tout le système apportant des éléments structurels positifs mais échouant sur la maitrise et les outils de la qualité
·     2004, une réforme moins globale, avec des acquis structurels positifs sans succès notable non plus sur les outils de qualité.

Les leçons de l’Histoire

Quelles leçons peut-on en tirer?
Quand on fait une lecture attentive et de type "historique" de la séquence sur plusieurs décennies de l'évolution du système de Santé, en France mais aussi dans les autres pays développés, on est surpris par le rythme de cette évolution. Il y a des modifications nombreuses et fréquentes, de type mineures et puis, à plusieurs années d'intervalle, des épisodes paroxystiques comme les trois réformes évoquées plus haut en France.
Et, ces crises dans la gestion du système ne correspondent pas au rythme de l'évolution de nos connaissances scientifiques et techniques. Cette évolution (des connaissances), à la faveur de découvertes qui ouvrent de nouvelles portes, peut effectivement connaître des accélérations et des pauses. Mais en fait elle est permanente et pratiquement continue depuis un siècle, et plus encore depuis un demi-siècle !
Nous sommes donc soumis, pour suivre cette évolution des connaissances scientifiques, à une évolution obligatoire, permanente et continue du système de santé, sous tous ses aspects, techniques, organisationnels, universitaires, hospitaliers, industriels, etc.

L’optimisation de la Qualité
J'insiste bien sur le caractère permanent et continu de cette évolution sous la responsabilité de structures habilitées, du type de la HAS, car il ne suffit pas que la science mette à notre disposition de nouveaux outils diagnostiques et thérapeutiques : il faut que toute la chaine professionnelle et toutes les structures les assimilent et les intègrent au fur et à mesure.
Or, dans tous les pays développés, toutes les études montrent que les résultats sur le terrain de cette science, presque magique, mise à notre service, sont loin d'être optimaux !

Et l'optimisation du système, évidemment fort complexe, repose sur deux outils fondamentaux dont on parle depuis 15 à 20 ans (en particulier au moment des crises genre «grande réforme» ou «réforme de la dernière chance»). Ce sont évidemment le dossier médical informatisé, permettant de savoir «comment Mr. X est pris en charge par son ou ses médecins» et l'évaluation par des pairs qualifiés, au vu de ce dossier, de la « qualité de cette prise en charge par rapport aux références scientifiques validées ».
Malgré toutes les réticences, les freins, les lenteurs, les faux-semblants, c’est de la réalisation patiente, progressive (par exemple sur des plans quinquennaux successifs) de ces deux objectifs et de leurs répercussions sur l'enseignement, sur la formation continue, sur les collaborations professionnelles  que surgirait cette optimisation des soins que nous attendons avec tant d'impatience.

Un financement « soutenable
 L'autre point fondamental des débats sur le système de santé est celui de son financement et c'est lui qui déclenche les épisodes dits des "grandes" et "définitives" réformes, qui sont en fait des réformes financières que l'on camouffle un peu derrière des mesures en général sans lendemain, dites de qualité ou d’efficience (cf. le DMP). Il faut bien reconnaitre que le problème est sérieux, voire inquiétant, pour les responsables qui voient chaque année les dépenses de santé augmenter de plusieurs points au-dessus de la croissance du PIB et, de ce fait, la dette nationale, qu'il faudra bien rembourser un jour, se creuser un peu plus. 

Le discours politique est à peu de chose presque toujours le même. Tout est fait pour démontrer, que cette augmentation des dépenses de santé n'est pas liée aux progrès scientifiques et techniques mais à leur mauvaise utilisation, aux abus, aux gaspillages, etc. Et ce discours, qui associe les dépenses excessives et les abus, se termine presque toujours par le couplet de la « maitrise médicalisée » à savoir : « mettons plus de qualité, c’est-à-dire évitons les gaspillages, et nos dépenses deviendront acceptable ». 

Or ce discours est faux, archi-faux, car si nous ne méconnaissons pas les abus de tous types et les économies qu'entraineraient leur suppression, il est irréaliste d'ignorer la complexification actuelle et à venir du système de soins, le fait que l'optimisation des soins et de la prévention passe par la prise en charge de personnes échappant au système, et le fait que nos progrès eux-mêmes en augmentant notre survie et en transformant nombre de maladies autrefois mortelles en affections chroniques à traitement prolongé…
Et tout ceci est générateur de dépenses automatiquement croissantes.

La prise en charge de ces dépenses croissantes (une fois admis leur optimisation et si l'on veut leur efficience, c’est-à-dire leur optimisation au meilleur prix) doit être surveillée en permanence, comme nous l'avons vu plus haut. Cette prise en charge devient un grand challenge national de nature politique, à gérer annuellement ou pluri-annuellement au niveau parlementaire. Toutes nos dépenses de santé ne sont pas collectivisées puisque, depuis de nombreuses années, le pourcentage collectivisé est à peu près immuable, au-dessus de 75 %, le reste étant assumé par une couverture assurantielle personnelle et par les dépenses personnelles des individus.

Or, en dehors de quelques tentatives timides et brèves, rien de décisif n'a été entrepris (avant même que la crise actuelle n'ait rendu la chose encore plus difficile, voire impossible) pour réévaluer et redistribuer ces trois enveloppes, avec les deux objectifs associés de couvrir la totalité des dépenses collectivisées de l'année et de commencer dans un délai raisonnable à rembourser la dette. Et ceci, je le répète encore, en renonçant définitivement à cette illusion si longtemps entretenue et délétère que cette normalisation budgétaire progressive serait obtenue par des  économies fondées sur une meilleure qualité.

La Réforme en débat

Arrivons enfin à 2009 et à la grande réforme HPST, Bachelot, Sarkozy.

Ce grand débat auquel nous assistons, tient-il compte, un peu, beaucoup, ou pas du tout de cette expérience des 50 dernières années ? La réponse est difficile à formuler, tellement le dossier est complexe et la situation de moins en moins lisible, au fur et à mesure que se prolongent les débats parlementaires, faisant suite aux rapports Larcher, puis Marescaux, eux-mêmes précédés par les Etats Généraux de l'Offre de Soins.

Que constate-t-on ? Que c'est, une fois de plus, une «Grande» Réforme qui va tout régler ! Alors que, nous l'avons vu, c'est une transformation permanente et progressive du système qui correspondrait le mieux au type d'évolution de toutes les sciences médicales et médicosociales. La liste des thèmes abordés est impressionnante, allant de la création des ARS (devenues entre temps ARSA), qui est une tâche nécessaire, mais immense, sans que l'on sache très bien comment elles vont s'articuler avec un pilotage national à des thèmes mineurs, voire anecdotiques, comme le contrôle des «cigarettes confiserie» !

Une autre inquiétude naît de la procédure utilisée pour cette «Grande» Réforme, celle d'un grand débat ouvert à tous et à toutes depuis plus d'un an, pratiquement sur la place publique, avant même qu'un projet structuré n'ait été bâti par des experts compétents et indépendants des intérêts corporatistes, et des différents lobbys si puissants dans le domaine de la santé !

Autres constatations concernant les priorités :
·     l'amélioration de la qualité du système et la gestion du financement (en particulier du financement collectif) sont toujours étroitement mêlés, alors que nous avons vu qu'il s'agit de problèmes différents et à traiter séparément tant leur mélange est explosif
·     les deux clefs essentielles de la qualité que sont le DMP et l'évaluation des pratiques individuelles par des pairs, ne sont pas traitées avec la priorité et l'énergie qu'elles nécessitent !

Je n’entrerai pas plus avant dans l’analyse d’un projet de loi qui est encore en débat au Parlement. Mais je me demande néanmoins si nous ne mettons pas en place les prémisses d’une nouvelle réforme   toujours plus «grande », «ultime» en 2015 ou 2016 ? Et si des procédures permanentes et continues d’observation, d’évaluation, de vigilance et d’intégration des données nouvelles n’offriraient le maximum de garanties sur l’optimisation des dépenses et sur les choix de société a faire dans ce domaine en s’écartant des crises quinquennales qui perturbent le débat.
 texte publié  aussi sur http://www.nile-consulting.eu

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