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mardi 10 février 2009

Hormone de croissance : coupables ou non-coupables?

Elles étaient déchirantes, ces scènes du procès de l’hormone de croissance… Les familles inconsolables de ces 118 morts, la colère, la haine – un sentiment si proche de l’amour qu’il se confond parfois avec lui… - de parents pour qui « justice n’avait pas été rendue » !
Comme j’ai peut-être sans le savoir, été un acteur de ces tragédies, je dois y apporter mon modeste témoignage…


A l’époque où étaient administrés les premiers traitements par extraits d’hypophyse humaine, j’étais un jeune interne dans le service du Pr Job. Un homme à la science et à l’humanité exceptionnels, tout dévoué à ses petits malades. Pour lui j’effectuais des prélèvements sur nos nos malades décédés, pour les envoyer à l’Institut Pasteur. Nous considérions tous le « patron » comme une sorte de bienfaiteur de l’humanité, car il avait su bâtir avec l’Institut Pasteur une structure qui sauvait des vies quasi-condamnées !

Car les nains hypophysaires sont condamnés a être durant leur courte vie, des « personnages de cirque » N’était-ce pas les sauver qu’en faire des êtres normaux ? On connait la suite : un miracle qui tourne au cauchemar, la première description d’une maladie rare et inconnue touchant électivement des personnes agées, la découverte du mystérieux « prion » qui la véhicule, la possibilité d’une contamination par cette hormone fabriquée a partir d’hypophyses de sujets qui étaient sans que nul ne le sache, porteurs du fameux prion…

Pour déchirant qu’il soit, ce drame est un grand « classique » de la médecine, de ses progrès fascinants et parfois angoisssants, des responsabilités que prennent les professionnels chaque fois qu’ils interviennent sur un individu, malade ou en bonne santé : Notre diagnostic est-il le bon ? Notre traitement est-il justifiée ? Avons-nous mesuré le bénéfice que le patient va en tirer, les risques auxquels nous l’exposons ? Dans le cas dont nous parlons ici enfin, n’avons-nous jamais manqué de prendre connaissance de la publication scientifique, seule parmi des milliers qui paraissent chaque année, qui aurait pu nous influencer voire nous faire stopper le traitement ?

Ce drame est aujourd’hui présent à notre esprit. Mais il n’est pas unique. A des postes de responsabilité, j’ai vécu bien d’autres drames médicaux : celui des morts du Bismuth, celui du sang contaminé par le virus du SIDA par exemple… Ces situations ont en commun le retard dans les réactions humaines, du pour l’essentiel à la difficulté de transmettre les connaissances aux vrais décideurs.

Les sels de bismuth par exemple, ont pendant des décennies été un traitement de référence pour de nombreux troubles digestifs. Ils ont été administrés par tous les médecins sans la moindre arrière-pensée. Puis vers la fin des années 1970, certaines revues de neurologie ont évoqué le cas de patients atteints de troubles nerveux inclassifiables, liés a des lésions cérébrales parfois mortelles. Il a fallu quelque temps pour que des neurologues, plus curieux ou méticuleux, remarquent un dénominateur commun à ces patients si particuliers. Comme ils souffraient de troubles digestifs mineurs, tous prenaient régulièrement des sels de bismuth. De proche en proche et à la surprise générale, il est devenu évident que ce produit « banal », utilisé par tonnes depuis des décennies, avait tué des dizaines de patients…

Présence d’un virus associé? Changement de fabrication ? Dérapage dans les doses absorbées qui avaient ainsi « débordé » la frontière réputée infranchissable du cerveau? Quoi qu’il en soit, le bismuth et ses dérivés ont été complètement interdits en France. Mais ils sont toujours utlisés a l’étranger -à doses réduites - sans le moindre problème…

Plus connu, le drame du sang contaminé est dans toutes les mémoires. On reconnait encore aujourd’hui les services immenses que rend la transfusion sanguine, fruit du don volontaire et bénévole à un malade, du sang d’un bien-portant… On connait les précautions prises pour sélectionner les donneurs: leur âge, leur mode de vie, leur parfait état de santé, la compatibilité des groupes sanguins… Ces précautions étaient déjà considérables au début des années 80. L’irruption du SIDA – dont on a d’abord ignoré qu’il était du à un virus transmissible par le sang – les a rendu caduques et nous n’avons pas su réagir assez vite à cette remise en cause.

Ce drame du sang été jugé. Les responsabilités sont établies mais au-delà des dérives reconnues, on trouve là aussi un problème qui rapproche cette affaire des deux autres.

Dans les trois cas des éléments scientifiques nouveaux, inopinés, sont venus bouleverser un contexte apparemment bien établi et sécurisé. Le repérage et l’analyse de ces informations, l’évaluation des changements induits dans le rapport risque/bénéfice des pratiques professionnelles y avaient une importance capitale.

Les proches des victimes des extraits hypophysaires, ceux des morts du sang contaminé ont réclamé justice. Les morts du bismuth nous ont quitté en silence. Mais qu’en est-il de ces autres catégories de morts, frappés parce que le Système les a négligés ou marginalisés alors qu’ils étaient encore en bonne santé, au moins apparente ?

Pendant plus de 20 ans je me suis battu pour faire reconnaître et entrer dans la pratique un test de dépistage des lésions précancéreuses du côlon, ou des lésions cancéreuses asymptomatiques. Son usage régulier réduit d’environ 30% la mortalité de ces cancers digestifs : environ 15 000 décès par an en France, depuis des années…

Or dès 1996 le Lancet, une revue dont chacun connaît le prestige international, a confirmé les résultats remarquables du dépistage organisé auprès de grandes cohortes britanniques et danoises. Des résultats plus tard confirmés en Bourgogne. Il faudra pourtant attendre 2008, soit encore 12 ans, pour que l’Institut national du Cancer (INCa) en France, finalise le dépistage organisé et gratuit de la totalité des departements français !

Le lecteur fera lui-même, le calcul des morts évitables… qui n’ont pas été évitées ! Elles se montent à plus de 50 000… Quelle cohorte, quelle légion ! Et ceci sans un murmure, sans une plainte si ce n’est celle déposée en 2002 contre le Ministère de la Santé par un patient, dentiste de son état si mes souvenirs sont bons. Porteur d’un anus artificiel définitif post-opératoire, il a porté plainte pour « inaction dans la prévention ». Plainte rejetée 3ans plus tard par le Tribunal administratif de Paris. Voilà qui traduit bien le « deux poids, deux mesures » qui s’applique aux chaînes de décision…

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